ECOUTEZ Daniel Pennac, il est étonnant.
Chaque jour de mon enfance, je rentrais à la maison poursuivi par l'école. Mes carnets disaient la réprobation de mes maîtres. Quand je n'étais pas le dernier de ma classe, c'est que j'étais l'avant-dernier (Champagne !)... Apparemment, tout le monde comprenait plus vite que moi...
Nos mauvais élèves ne viennent jamais seuls à l'école. C'est un oignon qui entre dans la classe : quelques couches de chagrin, de peur, d'inquiétude, de rancoeur, de colère, d'envies inassouvies, de renoncement furieux, accumulées sur fond de passé honteux, de présent menaçant, de futur condamné. Regardez, les voilà qui arrivent...
Le problème, c'est qu'on veut faire croire à un monde où seuls comptent les premiers violons.
Il faudrait inventer un temps particulier pour l'apprentissage. Le présent d'incarnation, par exemple. Je suis ici, dans cette classe, et je comprends, enfin ! Ca y est ! Mon cerveau diffuse dans mon corps : ça s'incarne. Quand ce n'est pas le cas, quand je n'y comprends rien, je me délite sur place, je me désintègre dans ce temps qui ne passe pas, je tombe en poussière et le moindre souffle m'éparpille. Seulement, pour que la connaissance ait une chance de s'incarner dans le présent d'un cours, il faut cesser d'y brandir le passé comme une honte et l'avenir comme un châtiment...
Ce qui vous manque, à vous les profs, ce sont des cours d'ignorance... Votre première qualité devrait être l'aptitude à concevoir l'état de celui qui ignore ce que vous savez !
Sais-tu la différence entre un professeur et un outil ? Non ? Le mauvais prof n'est pas réparable.
Les profs qui m'ont sauvé - et qui ont fait de moi un professeur - n'étaient pas formés pour ça. Ils ne se sont pas préoccupés des origines de mon infirmité scolaire... Ils étaient des adultes confrontés à des adolescents en péril. Ils se sont dit qu'il y avait urgence. Ils ont plongé. Ils m'ont raté. Ils ont plongé de nouveau, jour après jour, encore et encore... Ils ont fini par me sortir de là. Et beaucoup d'autres avec moi. Ils nous ont littéralement repêchés. Nous leur devons la vie.
Nous aurons consacré notre existence à sortir du coma scolaire une ribambelle d'hirondelles fracassées. Une hirondelle assommée est une hirondelle à ranimer. Point final.